Le 9 novembre 2015, la France commémorera pour la 45e fois, le décès du général de Gaulle, père providentiel et incontesté de la nouvelle nation française, après la Deuxième Guerre mondiale.
Père auto-proclamé de l’appel du 18 juin (1940), de la victoire des alliés (1945), de la constitution de la Ve République (1958) et Père – malgré lui – des accords d’Evian (1962) qui mirent fin à la guerre d’Algérie et des évènements de Mai 1968 qui furent une révolution dans les mœurs en France et en Europe et l’obligèrent à quitter le pouvoir démocratiquement de son propre chef, après le référendum du 28 avril 1969, avant de décéder l’année suivante, à l’âge de presque 80 ans (né le 22 novembre 1890).
Il sera également un des grands artisans du rapprochement germano-français et un fervent défenseur de la Communauté européenne, avant l’adhésion de la Grande-Bretagne en 1971 (dont il se méfiait à cause du lien structurel culturel avec les Etats-Unis).
Le général de Gaulle reste, un demi-siècle après, la référence de la France et de sa continuité (Aéroport Charles de Gaulle, place Charles de Gaulle-Etoile ou place de l’Arc de Triomphe des guerres napoléoniennes), même si tous les présidents de la Ve République après lui : Pompidou, Giscard, Mitterrand (2 mandats), Chirac (2 mandats), Sarkozy et Hollande, ont tenté chacun à sa manière, d’apporter une pierre à l’édifice et de faire rentrer la France dans la modernité.
45 ans après sa disparition, face à la crise des migrants, à la crise identitaire accélérée de toutes les sociétés pluriculturelles, due à la mondialisation, notamment celle de l’Europe en général et de la France en particulier, la question nationale revient en force, sur le devant de la scène. Avec une difficulté flagrante à l’assumer ou même à la définir, à l’intérieur de l’Europe (à cause des deux guerres mondiales, qui eurent pour source idéologique le nationalisme) et un regain voire une montée spectaculaire, du nationalisme à l’extérieur de l’Europe (Turquie, Russie, Iran, Israël, Etats arabes, Etat islamique). La question nationaliste demeure refoulée ou taboue en Europe et prospère idéologiquement, souvent aux dépens de la démocratie, dans le reste du monde. Aux Etats-Unis, elle oscille selon le président, entre nationalisme primaire(Bush) et ouverture utopiste au monde(Obama).
Certes le général de Gaulle en son temps, a bien défini, à sa manière, l’identité de l’Europe (‘‘C’est ce que nous allons faire sur le vaste champ de l’Europe. Pour moi, j’ai de tout temps, mais aujourd’hui plus que jamais, ressenti ce qu’ont en commun, les nations qui la peuplent. Toutes étant de même race blanche, de même origine chrétienne, de même manière de vivre, liées entre elles depuis toujours par d’innombrables relations de pensée, d’art, de science, de politique, de commerce…’’ ‘Mémoires d’espoir’, page 181) et celle de la France (‘‘Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne… Les Arabes sont des Arabes et les Français des Français.’’ Conversation avec l’auteur, le 5 mars 1959, suite aux évènements d’Algérie, ‘C’était de Gaulle’ par Alain Peyrefitte, Tome I, page 52).
Tout en ayant une vision claire, continue, concordante et cohérente de l’identité, il a en tant que politique, dû s’adapter, à des faits réels et les gérer pacifiquement au mieux, pour éviter les conflits identitaires et leurs dérapages sanglants. Pour cela, on trouvera toujours, chez tout politique, dans un système démocratique, aussi important soit il, une ambivalence entre l’exercice du pouvoir réel et l’idéal qu’il est censé défendre. Le général de Gaulle part donc d’une conviction intime et profonde, qu’il doit rationaliser, même s’il se laisse parfois, même rarement, submerger par son émotion (’Je vous ai compris’ en Algérie en 1958 et ’Vive le Québec libre’ au Canada en 1967). Il aura eu le grand mérite, de ne jamais engager de guerre inutile et d’avoir œuvré, toute sa vie durant, pour l’unité et le rassemblement. Ce qui ne change rien à la définition objective, de la question identitaire.
Concernant la définition de la Nation (ou Communauté ou Union), il ne faudrait pas se restreindre à celles qui émergent tardivement au XIX siècle, celle de Renan (universalisme à la française) ou celle de Fichte (nationalisme allemand). La notion de Nation apparaît, dès le début du récit historique, lors des guerres médiques, chez Hérodote, le père de l’Histoire, 500 ans avant Jésus Christ : ‘‘Le monde grec est uni par la langue, le sang, les sanctuaires et les sacrifices qui nous sont communs et nos mœurs qui sont les mêmes’’ ’L’Enquête, Livre VIII page 370, paragraphe 144. Elle est reprise dans les mêmes paramètres et simultanément contredite, par la charte de l’Unesco, 2500 ans plus tard, ‘‘les droits de l’Homme sans distinction de race, de sexe, de langue et de religion’’. Ces deux textes parallèles ne nous permettent pas, certes, de trouver une solution immédiate, mais de poser une problématique et de négocier un compromis viable, même provisoire.
D’un côté, il y a le souci d’unifier durablement et de pacifier une société, à travers des éléments objectifs (paramètres d’Hérodote), d’autre part, il faudrait empêcher que ces mêmes éléments structurels ne se transforment en discours idéologiques, discriminatoires, voire ségrégationnistes, populistes et paranoïaques (la démocratie aboutissant en période de crise à la dictature). Il faudrait également éviter, sous prétexte d’humanisme et d’universalité, de nier les conflits et de les ajourner car il y aurait un risque de décomposition, de dilution et de perte de repères (la démocratie aboutissant à l’anarchie).
A sa manière, le général de Gaulle ne fait que reprendre avec ses mots en français, les mêmes paramètres d’Hérodote (race, religion, mœurs et langue).C’est un cadre d’anthropologie politique neutre qu’il adapte à la réalité française et européenne. Claude Lévi-Strauss, père de l’anthropologie moderne reprendra, sous d’autres formes cette problématique contradictoire, dans ses deux conférences données à l’Unesco : ‘Race et Histoire’ (1952) et ‘Race et Culture’ (1971).
Toute société, à la base, est une société pluriculturelle dans son essence car sinon elle serait verrouillée et étoufferait d’elle-même. Dès le départ, Hérodote définit le monde grec face au monde perse mais une fois la victoire acquise, les Grecs vont se diviser sur eux-mêmes, entre Sparte et Athènes (différence de mœurs) ce qui va conduire aux guerres du Péloponnèse, que rapportera et analysera Thucydide. La dynamique d’un groupe est, soit l’union interne face à la menace extérieure (ce qui suppose un commandement éclairé), soit la scission interne ou la guerre civile (en l’absence d’un guide qui rassemble).
Il faudrait qu’une identité commune rassemble (à travers les paramètres partagés) et non divise (à travers les paramètres divergents).Il faudrait une compensation positive, au sein de la grille identitaire constante depuis Hérodote. Les éléments structurels ne vont pas changer, il faudrait les négocier au mieux, par ordre de priorité, pour pouvoir vivre ensemble.
Le général de Gaulle aura été un vrai père pour la France contemporaine car sa rigueur morale et intellectuelle lui dictait sa conduite. Même s’il y avait un calcul politique, il avait le sens de l’Histoire et de la grandeur de la France. Il a su de lui-même, lancer un appel à la résistance (18 juin 1940) et se retirer, onze années après son accession au pouvoir (juin 1958- avril 1969). Il a porté son pays à travers deux grandes épreuves de son histoire contemporaine : la défaite de la Deuxième Guerre mondiale et la décolonisation. Il a épousé une cause et une nation. Depuis le 9 novembre 1970, la France est toujours veuve.
Bahjat Rizk
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