Je souhaite partager avec vous le travail de fond que notre cher Bahjat Rizk a présenté hier lors de la Conférence et Exposition Philatélique « Hommes de l’Indépendance »
Riad el Solh et la déclaration ministérielle du 7 octobre 1943
La déclaration ministérielle du 7 octobre 1943 constitue à juste titre, plus de sept décennies après, un texte de référence, un texte fondateur, tant au niveau de l’histoire du Liban, de la définition de l’identité pluriculturelle Libanaise et du système politique qui la traduit. Cela est dû tant au contenu inédit, de cette déclaration majeure, qu’à la personnalité exceptionnelle du président Riad el Solh (premier ministre de sept 1943 à jan 1945 et de déc. 1946 à fév. 1951), première personnalité sunnite libanaise et arabe de premier plan, à adhérer, construire et consolider l’entité libanaise, avec le président maronite Béchara el Khoury (président de la république libanaise du 22 juillet au 11 nov. 1943 et du 22 nov. 1943 au 18 sep 1952).
Les deux présidents Béchara el Khoury et Riad el Solh dont nous évoquons le souvenir aujourd’hui, par l’édition limitée de ces deux timbres à leur effigie, sont considérés à travers le pacte national, comme les deux pères de l’indépendance libanaise.
Cette déclaration du 7 octobre 1943, en présentant le programme du nouveau gouvernement intervient un quart de siècle après la proclamation du Grand Liban le 1 er septembre 1920, suite à la mission au congrès de Versailles un an auparavant, du patriarche maronite Elias Hoayek, à la tête d’une délégation représentant les Libanais.
Pour la première fois en 25 ans, les élections avaient fait du peuple libanais, la véritable source du pouvoir et la constitution qui avait été suspendue du fait de la guerre en 1939 était rétablie depuis mars 1943, préludant ainsi à une véritable indépendance.
Riad el Solh, premier ministre nouvellement nommé, évoque donc pour la première fois dans son discours, une vraie indépendance (mot qui reviendra plus de 30 fois) une souveraineté nationale absolue, un seul diktat celui de l’intérêt national.
Il évoque également l’emplacement géographique du Liban, sa langue, sa culture, son histoire, sa situation économique. Il prône des relations avec les pays arabes (à grande majorité sunnite) sur une base solide, qui garantira leur respect de l’indépendance, de la pleine souveraineté et de l’intégrité territoriale du pays car « le Liban est un pays à visage arabe qui puise ce qu’il ya de bon et d’utile dans la civilisation occidentale. » Le président el Solh promet également de réformer la loi électorale, de recenser la population et réclame la suppression prochaine du système confessionnel qui constituait un obstacle au progrès national, nuisait à la réputation du pays et empoisonnait les relations entre ses confessions religieuses.
Il évoque également toute une série de réformes concernant la fonction publique, l’indépendance du système judiciaire, l’approvisionnement du blé, la maîtrise du coût de la vie, la subvention de l’agriculture, la promotion de la justice, la condition des femmes, le développement de la presse, du système éducatif, le contact avec les Libanais de l’étranger et la libération des prisonniers politiques. (Source : Riad el solh et la naissance du Proche-Orient moderne Patrick Seale -Fayard)
Dans ma brève intervention, à l’occasion de la commémoration de cette déclaration ministérielle du 7 octobre 1943, je me propose d’effectuer quelques commentaires succincts et surtout de la relire 72 ans après, à la lumière de l’évolution de la société libanaise aujourd’hui.
Cette déclaration pose une vision du Liban qui prend en considération son identité, ses données géographiques, historiques, démographiques, économiques et culturelles et sa spécificité dans le monde arabe. À cet égard ,les éléments structurels ont par certains aspects évolué mais n’ont pas intrinsèquement changé :il s’agit toujours de se situer entre Orient et Occident, de faire preuve de continuité, d’innovation et de modernité, d’esprit d’initiative et de réforme ,d’affirmer une indépendance, une souveraineté ,une ouverture, une liberté, en bref d’être dans la logique de la raison d‘être du Liban sinon de sa vocation :pays pluricommunautaire et pluriculturel qui se veut démocratique, à travers le compromis intercommunautaire.
Toutefois plus de sept décennies après cette déclaration, la gestion du pays demeure toujours difficile voire impossible .Le pays continue à répondre à un certain idéal mais ses institutions semblent de plus en plus dysfonctionnelles. Ceci est dû à des raisons tant structurelles que conjoncturelles.
Concernant les raisons structurelles, nous savons aujourd’hui que le pluralisme culturel, au sein d’un état unitaire est très difficile à négocier. La question identitaire ou le processus d’identification, n’est pas uniquement une question politique, économique ou philosophique c’est une question d’anthropologie politique qui remonte à Hérodote, le père de l’Histoire. Lors des guerres médiques opposant les Grecs aux Perses, Hérodote a relevé et établi, les éléments structurels de l’identité culturelle, à savoir : la langue, la religion, la race et les mœurs. Ces mêmes paramètres qui se compensent entre eux, réapparaissent dans la charte de l’UNESCO, 2500 ans après, mais dans un sens diamétralement opposé puisqu’il s’agit de respecter « les droits de l’homme sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion. » La diversité culturelle n’a donc pas de solution préétablie .Elle repose sur un fait culturel observable et avéré mais peut être envisagée, comme un frein à l’identité nationale ou bien comme une valeur ajoutée, selon la manière de la concevoir et de l’aménager. C’est la façon de la concevoir et de la gérer, qui en déterminera la finalité.
Ainsi la déclaration du 7 octobre 1943 essaie de gérer au mieux la diversité, en préservant l’unité nationale et en affirmant l’indépendance du Liban .Toutefois dans les faits depuis presque sept décennies ,le Liban a connu de multiples secousses répétitives et des guerres ,tant internes que régionales, qui durent depuis plus de quatre décennies. Certes le Liban continue à surmonter ses épreuves et à trouver ingénieusement des ressources, pour continuer vaille que vaille mais le système confessionnel n’est pas près d’être aboli et la réforme électorale n’a toujours pas abouti. Nous sommes aujourd’hui en présence d’un parlement, qui s’est déjà deux fois prorogé et une vacance à l’échelle de la présidence, qui dure depuis plus d’un an et demi et dont l’issue ne paraît pas proche, à cause d’intérêts régionaux ou de l’égoïsme des dirigeants libanais eux-mêmes. Comme tout système politique, la démocratie consensuelle libanaise, peut être pervertie et détournée à des fins propres, personnelles ou idéologiques. Certes la liberté de la presse est toujours assurée au Liban, elle est quasi –sacrée et ne s’est jamais démentie durant les sept décennies de l’indépendance du Liban, y compris durant les plus dures moments des crises libanaises, la condition de la femme est toujours largement préservée surtout en milieu urbain, le système éducatif, les contacts avec les libanais de l’étranger et le coût de la vie demeurent relativement encadrés.
Malgré les grandes difficultés du quotidien, les libanais restent plutôt confiants et attachés à leur mode de vie. Certes les Libanais ont des cultures religieuses différentes mais ils ont une langue commune et des mœurs largement identiques, tant en milieu rural qu’en milieu urbain. Ces deux éléments structurants de l’identité sont transcommunautaires et permettent aux Libanais de se retrouver, tant sur le sol libanais qu’à l’étranger (où ils jouent parfois un rôle fédérateur et de cohésion socioculturelle, au sein de la communauté libanaise dans son ensemble, toutes communautés religieuses confondues).A l’étranger, souvent les Libanais peuvent faire preuve d’une grande solidarité car elle est affranchie des appartenances religieuses et l’importance accordée est alors plus grande, aux autres paramètres identitaires. Le Liban s’est forgé durant plus de 70 ans une expérience réelle, qui lui est propre et qui est réussie culturellement, même si elle est laborieuse voire ardue politiquement. Elle peut servir légitimement, par certains aspects positifs de modèle de référence, aux sociétés multiculturelles religieuses d’aujourd’hui, dans notre monde mondialisé. On pourrait même dire sans exagération, que la société libanaise a été mondialisée depuis les Phéniciens, grâce à sa géographie, son histoire, son économie et sa démographie. La société Libanaise peut paraître par certains aspects, traditionnelle même conservatrice et par d’autres étonnement moderne et pionnière.
La grande difficulté reste le système confessionnel .Ce système a été conçu au départ de manière transitoire, pour assurer une participation active à toutes les communautés et garantir les droits des minorités dans un pays pluriculturel. Or il s’est avéré qu’il est très difficile de sortir de ce système car la composante pluriculturelle est structurante de l’identité libanaise .Les libertés individuelles communes à tous les Libanais, passent au Liban par les Libertés des groupes On ne voit pas la manière dont elle pourrait être dépassée, sans remettre en question l’entité libanaise elle-même. Cet équilibre symbolique et effectif entre les communautés, n’est pas uniquement démographique, économique ou politique, il est au départ et avant tout existentiel, à l’origine du modèle libanais et devrait être préservé. La démocratie libanaise est à deux niveaux. Elle passe par la représentation communautaire ,pour parvenir à la participation nationale .Et c’est là le génie avant gardiste d’un Riad el Solh ,homme cosmopolite, véritable humaniste et profondément lettré ,élève des pères jésuites ,maîtrisant plusieurs langues et plusieurs disciplines, tant dans les sciences sociales que les sciences humaines .Il a compris que ce système communautaire ne devait pas, se fermer sur lui-même et qu’un véritable homme d’état ,dans un pays pluriculturel ,était celui qui savait et devait, passer sans problème , du stade communautaire au stade national car la finalité, est de réussir le pari de l’unité nationale ,sinon le Liban ne serait qu’un ramassis de communautés ,repliées sur elles –mêmes.
Riad el Solh est le premier dirigeant musulman sunnite, libanais et arabe ,qui avait très vite compris qu’il fallait arabiser les chrétiens du Liban et libaniser les musulmans du Liban, en créant une ouverture enrichissante aux uns et une spécificité distinctive aux autres, dans le cadre d’un intérêt national et d’une indépendance positive, vis-à-vis du monde extérieur ,tant du monde arabe environnant que de l’Occident. Ce système devait répondre ultimement, à une finalité commune et nationale et ne pas se limiter aux acquis communautaires. C’est là toute sa modernité .C’est pour cela qu’il apparaît sept décennies après, comme visionnaire et toujours d’actualité. Il assume l’entité libanaise dans son ensemble, avec une finalité qui lui est propre et qui repose sur des valeurs, de bien vivre et de vivre ensemble. Or lui le sunnite qui rêvait au départ d’unité arabe, réalise que l’expérience libanaise dans sa singularité et sa spécificité, est porteuse de valeurs essentielles, pionnières et universelles, tant pour les communautés libanaises que pour le monde arabe ou l’Occident. Il réalise que ce partenariat des musulmans sunnites libanais, avec les chrétiens du Liban notamment les maronites et l’ouverture sur le monde arabe et l’Occident « dans ce qu’il avait de bon et d’utile »pouvait être bénéfique pour tous. Il avait intériorisé cette expérience libanaise, dans ce qu’elle avait d’exceptionnel et de prometteur. A l’heure où des idéologies mortifères et archaïques, tant en Orient qu’en Occident, tentent à cause des frustrations accumulées, des humiliations subies et des peurs exacerbées, de propager un climat de haine, d’exclusion et de représailles, Riad el solh demeure dans l’histoire du Liban et du monde arabe, dans son rapport positif avec l’Occident, un repère sûr et une référence.
Riad el Solh donnera sa vie au Liban au figuré comme au propre puisqu’il sera assassiné huit ans après le 16 juillet 1951 à Amman, par des membres du parti social nationaliste syrien, qui contestait le pacte national islamo-chrétien (ou sunnite-maronite) Libanais. Cinquante ans après, le 14 février 2005, un autre chef de gouvernement sunnite, qui avait largement contribué à la reconstruction du Liban après la guerre (1975-1990) sera assassiné à Beyrouth pour des raisons idéologiques, plus ou moins similaires.
La déclaration du 7 octobre 1943 est un texte majeur qui prépare l’indépendance du Liban qui interviendra effectivement six semaines plus tard, le 22 novembre 1943 .Elle pose surtout de vraies options pour orienter l’entité libanaise et construire l’Etat Libanais .
C’est une vraie vision, qui appartient à l’histoire du Liban mais qui peut dans ses grandes lignes, lui redonner aujourd’hui un cadre viable et sûrement un avenir.
8 octobre 2015-
Bahjat Rizk
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